Auteur du livre « Un enfant pour l’éternité »
Par ISABELLE DE MEZERAC (en voici quelques extraits)
-Donner la vie, c'est accepter d'être pris en otage par un autre ; c'est voir chavirer ses projets et s'en réjouir ; c'est laisser sciemment bifurquer la trajectoire de son devenir vers des rivages inconnus. Mais donner la vie, c'est aussi donner donner de sa vie à une autre vie sans savoir à l'avance jusqu'à quelle extrémité ce don de soi pourra conduire.
- Etre mis au monde, en effet, c'est être recueilli entre des mains humaines. Qu'il naisse sans vie, qu'il meure à la naissance ou peu de temps après, l'enfant a été "mis au monde" parce que son corps a été bercé, porté entre des bras, sa peau touchée par des lèvres et caressée par des doigts humains.
- L'interruption de grossesse, unique voie fatidique face à ce diagnostic ? Certes, l'issue de cette maternité était fatale et notre bébé était condamné à très court therme sans que la médecine ne puisse tenter une intervention pour le sauver (...), quelle effroyable impasse devant nous !
- Nous étions tous les deux dans une incroyable tempête, mon mari me proposant de suivre l'avis du médecin, ma tête disant peut-être, mon coeur hurlant de chagrin. Pris dans la tourmente d'une souffrance radicale, nous ne savions où aller, ni comment regarder cette tentation de la raison qui nous éloignait de la raison du ceur.
- Alors finalement, ce ne serait q'une grossesse pour rien, que l'on pouvait interrompre, comme si de rien ne s'était passé ? Quand les évènements de la vie n'ont plus de sens et qu'ils nous broient le coeur, quand il faut avancer et survivre, comment rester dans le monde des vivants, comment se reconstruire après et reprendre la route de la vie ? Où trouver la réponse ?
- Dans notre entourage, certains n'ont pas saisi la souffrance que nous portions à vif, dans nos coeurs de parents éprouvés au plus profond d'eux-mêmes. Les paroles peuvent être terrible violence, le raisonnement et les conseils, formidable distance.
- D'autres personnes m'interrogeaient toujours de la même manière "les médecins ne peuvent rien faire pour vous l'enlever ?". Voilà à quoi ce tout-petit que je portais était réduit, guère mieux qu'un kyste ordinaire, qu'une grossesse bénigne ? C'était à la limite du sordide et ma soudaine réaction laissait place à une certaine gêne. Je pleurais d'attendre un bébé trop handicapé pour vivre et pour soulager ma souffrance, on me proposait de le supprimer ! Incroyable illusion que l'on peut faire miroiter. Banalisation d'un geste redoutable. Transgression d'un interdit qui blesse au coeur, même s'il est devenu légal. Comment imaginer ne plus souffrir après, comment se reconstruire pour continuer à vivre ?
- Nous goûtions sa présence parmi nous et chacun à son tour venait, la main posée sur mon ventre bien arrondi, savourer ses coups de pieds, sa façon de se glisser dans son monde à lui.
- Nous nous sommes donné le temps de préparer cette échéance en devenant accompagnateurs de son destin, en renonçant peu à peu à un avenir construit avec lui, en acceptant de voir se briser, dans notre coeur de parents, le mythe de l'enfant parfait !
- Quelle étonnante destinée que ce passage éclair dans nos vies, mais quel changement ! Plus rien ne serait comme avant. Notre livret de famille en porte aujourd'hui la trace écrite.
- Le retrouver physiquement, serrer son petit corps contre mon coeur, sentir le poids de sa tête au creux de mes bras devenaient pour moi un besoin irrésistible, même si cela peut paraître morbide ; c'était tout simplement apaiser la douleur de mes bras vides et apprivoiser son absence trop brutale.
- Puisque nous vivons dans la durée, il faut pouvoir redonner un peu d'épaisseur au temps quand il fut si court. Puisque nous sommes des êtres de chair, il faut que notre mémoire fixe ses images sur un visage et apprenne à le connaitre.
- Je donnais à son absence un peu plus de consistance. Il était bien là, il était bien lui ; même décédé, il restait mon enfant.
- Certains ne comprennent pas que la souffrance ne se mesure pas à la durée de la vie mais à l'intensité de l'amour qui l'a habitée.
- Il faut laisser s'exprimer cette déchirure pour qu''elle ne se renferme pas trop vite, au risque d'empoisonner le futur.
- De quelles relations nouvelles nous faut-il inventer le chemin, lui dans l'au-delà, moi encore sur terre ? Accepter cette violence et continuer avec lui notre route, dans un coeur à coeur permanent.
- Si le temps peu à peu adoucit la peine, il peut aussi apporter la tentation de ne plus oser vivre pleinement avec ceux qui nous entourent (...). Comme si cette épreuve nous avait brisé les ailes, comme si elle nous interdisait d'aimer à nouveau intensément puisque la vie pouvait apporter tant de souffrance. Peur de trahir mon bébé décédé, peur de me choquer moi-même, en reprenant le goût de vivre, donner l'impression que tout est effacé, déjà rentré dans le passé.
- En prenant toute la mesure de mon chagrin, en m'autorisant à l'exprimer sans retenue, je découvrais qu'un nouveau mode de vie m'attendait : rire avec un coeur qui aura toujours un petit à pleurer, chanter avec une voix qui gardera une tendresse pour lui, danser avec des bras qui auraient aimé le bercer... Mais, en même temps, aimer la vie pleinement !
Accepter les limites de la médecine sans tricher, regarder notre souffrance en face, sans chercher à l’esquiver, affronter la mort à son heure, sans vouloir l’anticiper, Enfant réel, et non symbolique, petit frère à aimer et non à rêver, voilà ce qu’il fut pour nous tous !
Effroi, douleur et chagrin qui s’achèveront en un chant d’amour pour ce tout-petit !
Même s’il meurt, avant d’avoir pu naître. Même s’il naît, peu de temps avant de mourir. C’est notre enfant pour l’éternité !
Panique dans notre solitude, intensité de toutes les douleurs, désarroi face à une décision impossible. Atteindre le tréfonds… Décider sans attendre… Interrompre sa vie pour continuer la nôtre ?
A toi, petit bébé qui portais tous les maux de la terre, dont l’unique combat serait d’atteindre ton premier jour, mais tu es parti bien avant...
Afin d’offrir un véritable choix aux mamans confrontées à de tels diagnostics, afin de laisser aux maternités leur rôle de lieux d’éveil à la vie !
A toi, petit bébé, qui portais tous les maux de la terre, dont l’unique combat serait d’atteindre ton premier jour, Je t’offre cette chanson comme unique raison !
Et toi que nous avons pris par le cœur pour t’amener jusqu’au bout du chemin, tu nous laisses, pour toute consolation, cette dernière chanson !
Chanson pour Matthew, il en a été bercé jusqu’à la fin de sa vie du groupe HOOBASTANK "The Reason" traduite en français par mon frère Erwan, car c’était SA CHANSON... Je l'ai écoutée maintes et maintes fois pendant cette grossesse. Dans la nuit du 21 au 22 août 2004, j'ai entendu des bébés pleurer à la maternité d'où j'étais. Et mon bébé Matthew lui, bougeait de moins en moins pendant ce temps là. J'ai allumé la télé pour "masquer" ces pleurs de bébés pleins de vie qui me déchiraient le coeur... Et je suis tombée sur cette chanson juste à ce moment là, c'est pour cela qu'il en a été bercé jusqu'à la fin de sa vie...
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Je retenais poings fermés mon amour comme une poussière d’or, d’entre mes doigts, il s’est échappé (JEAN MONBOURQUETTE)
Toute vie achevée est une vie accomplie. De même qu’une goutte d’eau contient déjà l’océan. Les vies minuscules, avec leurs débuts si brefs, leur infirme zénith, leur fin rapide, n’ont pas moins de sens que les longs parcours. Il faut seulement se pencher un peu pour les voir et les agrandir pour mieux les raconter. (F. CHANDERNAGOR)